Communiqué: Mise en garde contre les tribunaux parallèles

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L’AQAAD souhaite rappeler les principes du système de justice qui devraient nous tenir à l’écart des dénonciations sociales. Nous appuyons également l’énoncé de ces principes que fait aujourd’hui l’Association des avocats de la défense de Montréal : Dénoncer dans des médias sociaux peut revêtir un caractère libérateur, mais cela n’est pas sans laisser de trace et sans conséquence.

La publication de listes permettant d’identifier des personnes irrémédiablement stigmatisées comme « ABUSEUR » méritant l’imposition immédiate de la peine de la « cancellation », véritable exécution sociale sommaire, est un rappel des pires dérives de l’histoire.

Les leçons tirées de ces dérives sont à la source des principes fondamentaux qui sont la base du fonctionnement de l’appareil judiciaire qui nous confie la lourde tâche d’avoir comme principale sinon unique préoccupation d’éviter de condamner un innocent et de mal juger un coupable.

Les gens comprendront qu’un mouvement qui promet les deux (2), notamment en se fondant sur une identification approximative des personnes visées et un énoncé volontairement incomplet sinon absent des faits en cause heurte les valeurs que nous défendons dans ce qu’elles ont de plus profond.

La douleur bien réelle des victimes justifie des attentes et une réponse adéquates de toute la société, nous en convenons.

Le mouvement actuel repose sur l’allégation que le processus judiciaire est lourd, compliqué et ne répond pas aux besoins des plaignants.es. Pour mieux le comprendre, il faut s’intéresser aux fondements du système et surtout connaitre ce qui est déjà en place pour accompagner les victimes.

 

État de droit

Tout comme nous avons choisi de vivre dans une société démocratique, nous avons décidé, au nom de la paix sociale, que de se faire justice soi-même n’était pas la bonne avenue.

Partant de là, une société libre et démocratique doit s’assurer que les procès sont encadrés par des règles de droit, lesquelles garantissent un procès équitable. Nous nous permettons de souligner que c’est souvent dans des causes où les crimes reprochés sont les plus odieux que les condamnations injustifiées surviennent.

Notre système n’est pas parfait, certes. Mais il demeure un des meilleurs au monde.

Critiquer le système est inévitable et même sain. Se suffire à dire que le système ne fonctionne pas et créer une justice parallèle est injustifiable. Il faut travailler à mieux rendre justice.

La situation a beaucoup évolué dans les dix (10) dernières années. Aujourd’hui lorsqu’une personne se présente à la police pour loger une plainte d’agression sexuelle, elle sera dirigée vers des agents formés et spécialisés pour ces dossiers. Aussi, le ou la plaignant.e sera référé.e à des services d’accompagnement et de support psychologique offerts par divers organismes, notamment les Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (C.A.V.A.C.). Cette ressource assure un accompagnement à la Cour, un suivi de l’avancement du dossier, et dirige même la victime vers les ressources requises par son état. Il faut aussi mentionner que le dossier est confié à un.e procureur.e d’expérience, spécialisé.e dans le traitement de ce genre de cause.

Il ne faut pas sous-estimer non plus les bienfaits résultant du développement, à l’intérieur du système de justice, de solutions alternatives à la confrontation judiciaire classique.

Est-ce pour autant facile pour une victime d’avoir à témoigner à la Cour ? Certainement pas, puisque d’avoir à témoigner d’évènements traumatisants est en soit douloureux. Cette difficulté existe pour tous ceux qui sont appelés à témoigner à la cour, et ce, dans quelque type de cause que ce soit. Mais ça reste un exercice nécessaire pour que justice soit rendue.

 

Présomption d’innocence

Les intervenants judiciaires le répètent sur toutes les tribunes, la présomption d’innocence est le dernier rempart des droits et liberté et la seule assurance contre une condamnation injustifiée. Et c’est surtout le prix à payer pour vivre en démocratie.

Les condamnations sur la place publique sans critères objectifs pour les baliser ne peuvent mener qu’à de puissantes agitations sociales. On ne peut au nom de l’intérêt public détruire des vies sans penser qu’il y aura de fortes réactions si ces condamnations ne sont pas accompagnées d’un sentiment que justice a suivi son cours. Une telle situation laisse place à l’arbitraire et à la vengeance.

Sur ce point, le système de justice jouit d’un net avantage fondé sur la compétence et le professionnalisme des acteurs du système de justice.

Les juges seront aussi appelés à se prononcer sur la crédibilité du ou de la plaignant.e et de l’accusé.e. Leurs jugements doivent être basés uniquement sur la preuve présentée pendant le procès et ne doit pas été influencé d’aucune façon par de quelconques préjugés. Si toutefois il se trompe, il sera corrigé par les tribunaux d’appel.

Le « tribunal » des dénonciations publiques, quant à lui, base son jugement, final et sans appel, sur un sentiment de vengeance et sur une preuve incomplète. Surtout, en proposant le rejet en bloc du système judiciaire, il prive toute la société, et en premier lieu les victimes, d’une ressource essentielle pour faire face à des situations tragiques.

 


Me Michel Lebrun

Président de l’AQAAD

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